Caractérisation d’une voie de fait de l’Administration du fait de l’évacuation forcée de 600 personnes d’un terrain
Suite à l’évacuation forcée d’environ 600 personnes d’un terrain du domaine privé de l’EPCI de Calais par le préfet du Pas-de-Calais, certaines d’entre elles et des associations forment un référé en invoquant une voie de fait de l’Administration. En première instance, le préfet soutient qu’il n’était pas l’autorité responsable de l’expulsion mais que celle-ci avait été diligentée par le procureur suite à une enquête de flagrance. Le tribunal lui donne raison, se déclare incompétent et rejette par conséquent la demande des requérants qui interjettent appel de la décision. Citant l’attendu de la décision Bergoënd du Tribunal des conflits[1], la Cour d’appel rappelle dans quelles conditions le juge judiciaire est compétent pour ordonner à l’Administration de cesser ou réparer la voie de fait de fait, par exception au principe de séparation des pouvoirs. Dans le premier cas, il faut que l’Administration ait procédé à l’exécution forcée dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété. Dans le second cas, l’Administration doit avoir pris une décision manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative et qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction du droit de propriété.
La Cour retient qu’en l’espèce, les déclarations du préfet et le manque de précisions des procès-verbaux du parquet sur la façon les 600 personnes ont été réparties dans 30 bus et déplacées du site en moins de 24h, montrent que : « La présence de centaines de migrants était donc connue depuis plusieurs semaines et l’évacuation du camp, impliquant la mobilisation de plusieurs dizaines de personnes et une logistique complexe, n’a pu être décidée en quelques heures. ». Elle en déduit qu’il s’agissait d’une seule opération visant à évacuer les personnes, menée par le préfet avec l’assistance des forces de police[2], alors que celui-ci n’a requis aucune autorisation du juge administratif pour y procéder. De plus, la Cour relève que depuis l’arrêté préfectoral interdisant toute distribution alimentaire, la zone de Virval était l’un des rares endroits où : « Les migrants, personnes vulnérables dans une situation de grande précarité, se réunissaient ainsi (…) en sachant qu’ils pourraient y subvenir à leurs besoins essentiels, suite à l’injonction du tribunal administratif[3]. Il ne peut dès lors être sérieusement soutenu que la fermeture de cette zone avait un objectif humanitaire. ». Elle note de plus que le parquet ne donne aucune indication sur les conditions d’hébergement prétendument proposées aux personnes après l’évacuation, et qu’ainsi la décision du préfet était bien manifestement insusceptible de se rattacher à un de ses pouvoirs.
Ensuite, la Cour recherche si l’évacuation et ses conditions de réalisation ont porté atteinte à la liberté individuelle des personnes. Après avoir rappelé la distinction entre la liberté personnelle et la liberté individuelle[4], elle relève que la rétention de migrants dans des bus afin de les diriger vers un autre lieu d’hébergement relève de la liberté individuelle. Elle ajoute que la présence des forces de police est de nature à constituer une contrainte en elle-même, surtout pour des personnes vulnérables, d’autant qu’en l’espèce celles-ci étaient également fouillées avant d’être dirigées vers les bus. Elle en conclut que : « Le confinement des étrangers dans des bus destinés à les acheminer vers une destination inconnue ne constitue dès lors pas une restriction de la liberté d’aller et venir mais une atteinte à leur liberté individuelle au sens des dispositions de l’article 66 de la Constitution. ». L’administration n’ayant pas le pouvoir de prendre une telle mesure privative de liberté, elle a donc agi hors de ses prérogatives de puissance publique, commettant ainsi une voie de fait selon la Cour, qui se déclare compétente pour trancher le litige. Elle prononce le renvoi de l’affaire pour fixer le montant de l’indemnisation du préjudice subi par les requérants.
[1] T.C., arrêt Bergoend, n°C3911 du 17 juin 2013.
[2] Et non par le parquet comme cela était soutenu par le préfet dans ses conclusions.
[3] Une ordonnance du 26 juin 2017 avait enjoint l’Etat à installer sur ce site des points d’eau, des toilettes, et organiser une distribution alimentaire par le biais d’une association.
[4] L’atteinte à la liberté individuelle supposant l’existence d’une privation de liberté.