La prise en charge par l’ASE d’une jeune majeure remplissant les conditions légales : rappel d’une liberté fondamentale

C.E., ordonnance du 10 juillet 2023, n°475130

Une demandeuse d’asile arrivée en France avec sa fille en bas-âge avait été prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance à un âge indéterminé, sur décision du juge des enfants. Par jugement avant-dire droit, et sans statuer sur sa minorité, le juge des enfants avait ensuite prolongé ce placement, dans l’attente des résultats d’expertise permettant de déterminer son âge.

La présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a néanmoins mis fin à sa prise en charge en tant que jeune majeure, au motif qu’elle n’était pas mineure au moment de sa prise en charge.  Pour rappel, l’article L. 222-5 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que l’ASE prend en charge « Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants, lorsqu’ils ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance avant leur majorité ».

Saisi par Madame, sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, le juge des référés du TA de Marseille a ordonné la poursuite de sa prise en charge par l’ASE en tant que jeune majeure.

Cette décision a été confirmée par le Conseil d’Etat, à la suite de l’appel formé par le département des Bouches-du-Rhône. Le département soutenait, d’une part, que la requérante n’était pas éligible à une prise en charge par l’ASE, et d’autre part, que les conditions du référé-liberté n’étaient pas remplies.

Concernant l’éligibilité de Madame à une prise en charge par l’ASE, le Conseil d’Etat a estimé qu’au vu du doute persistant quant à son âge, et compte tenu des décisions du juge des enfants, celle-ci devait être regardée comme remplissant les conditions de l’article L. 222-5 du CASF.

S’agissant, ensuite, de la possibilité de former un référé-liberté, le Conseil a considéré que le droit, pour une jeune majeure remplissant les conditions posées par la loi, d’être prise en charge par l’ASE est une liberté fondamentale, à laquelle un refus de prise en charge porte une atteinte grave et manifestement illégale. Le Conseil d’Etat confirme ici la jurisprudence qu’il avait ébauché fin 2022 en rappelant cette liberté fondamentale (CE, juge des référés. Ordonnance du 12 décembre 2022, n°469133)[1].

En l’espèce, la condition d’urgence était aussi satisfaite, quand bien même le département s’était engagé à poursuivre la prise en charge socio-éducative globale de Madame et de sa fille, jusqu’à ce que le 115 leur offre une place. En effet, la fin de sa prise en charge aurait entrainé des conséquences graves.

[1] Une décision résumée à la page 6 de la veille jurisprudentielle du quatrième trimestre 2022.

CE, juge des référés. Ordonnance du 10 juillet 2023, 475130