Suspension d’un arrêté préfectoral d’évacuation : précisions sur la notion de « domicile d’autrui » et « local à usage d’habitation »

TA Rennes, 14 novembre 2023, N° 2305894

L’arrêté préfectoral enjoignait les requérants – une femme titulaire de la protection subsidiaire et son époux en situation irrégulière – à évacuer les lieux dans un délai de sept jours.

Le TA de Rennes fait droit à leur demande de suspension.

La condition d’urgence est considérée satisfaite au vu de la dégradation de l’état de santé de Monsieur. L’argument du préfet selon lequel cette situation d’urgence serait imputable aux requérants, Madame ayant refusé l’hébergement lui étant proposé, est rejeté. Pour cause, Madame a refusé l’hébergement car son époux ne pouvait en bénéficier.

Le doute sérieux sur la légalité résulte, quant à lui, de la qualification de « domicile d’autrui » apposée aux lieux occupés. Le préfet soutenait que cette qualification était justifiée, un local à usage d’habitation constituant le domicile d’autrui, quand bien même il ne serait pas habité. 

Le tribunal souligne que le recours à la notion de local à usage d’habitation doit être limité : « il résulte des travaux parlementaires que l’extension du champ d’application de cette procédure d’évacuation forcée [aux locaux à usage d’habitation] a visé à permettre son application aux locaux d’habitation non effectivement occupés, qu’ils soient meublés ou non, dans des circonstances particulières, notamment entre deux locations, juste après l’achèvement de la construction et avant que le propriétaire n’ait eu le temps d’emménager ou encore le temps de la finalisation d’une vente immobilière. Cette modification législative ne peut ainsi être interprétée, eu égard aux travaux parlementaires explicitant son adoption, comme incluant dans le champ d’application de ces dispositions les locaux de longue date inhabités ou abandonnés et pour lesquels le propriétaire ne manifeste aucune intention de réhabilitation ou de rénovation visant à permettre, à brève ou moyenne échéance, sa mise en vente ou son occupation, par lui-même ou un locataire titré ».

En l’espèce, les lieux occupés étaient dépourvus de tout meuble et de tout commodité à l’arrivée des requérants, courant 2022. De surcroît, la porte d’entrée était murée, et les parpaings découpés. Le tribunal relève par ailleurs que le propriétaire a attendu 5 mois, après avoir fait constater l’occupation illicite, pour saisir le préfet. Enfin, aucun des éléments versés au dossier ne démontrent qu’il entend reprendre possession de son bien, à brève ou moyenne échéance, pour le vendre, le louer ou l’occuper lui-même.

Le tribunal estime par conséquent qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté. Ce doute est renforcé par le fait que la situation personnelle et familiale des requérant ne semble pas avoir été examinée, comme exigé par la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1038 du 24 mars 2023.

L’exécution de l’arrêté est donc suspendue.

TA de Rennes, 14 novembre 2023, n°2305894