LA VOIE DE FAIT DE L’ADMINISTRATION DANS LE CADRE DE L’OPERATION « WUAMBUSHU »

CA de Saint Denis de la Réunion, chambre des référés. Ordonnance du 24 avril 2023, n° RG 23/00018

Le préfet a pris un arrêté d’évacuation basé sur l’article 197 de la loi « ELAN », prévoyant l’évacuation de famille vivant sur un bidonville. Il a été contesté par une partie des réquérant·es et annulé. Cependant, le préfet a annoncé qu’il allait procéder à l’évacuation des autres bangas. Dans la présente ordonnance, les requérants contestent en considérant que la destruction des habitations voisines des leurs fragilisera voire détruira ces dernières.

Ils invoquent une voie de fait fondant la compétence du juge judiciaire et un trouble manifestement illicite nécessitant une intervention en urgence du juge des référés pour ordonner au représentant de l’Etat de cesser l’évacuation et la démolition.

L’arrêté préfectoral contesté s’inscrit dans le cadre de l’opération « Wuambushu » (« reprise » en mahorais), présentée comme une « vaste opération de lutte contre la délinquance, l’immigration clandestine et les bidonvilles » par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, elle se traduit par la mobilisation de plus de 2000 policiers sur l’île et la destruction massive des bangas – des constructions fragiles (maisons en tôle, bois, végétal ou terre) constituant près de quatre logements sur dix à Mayotte.

Dans cette ordonnance, le juge – en accédant aux demandes des requérants, marque un coup d’arrêt à la première opération d’envergure de « décasage » voulue par les autorités politiques.

Dans un premier temps, il reconnait la voie de fait. Pour rappel, celle-ci constitue une atteinte particulièrement grave portée par l’administration au droit de propriété. En l’espèce, pour déterminer cette atteinte, le juge se base sur le rapport d’enquête de l’ARS et sur les conclusions convergentes de deux architectes soulignant que l’ensemble des habitations est instable, fragile mais en équilibre et qu’en en détruisant une partie – le tout risque d’être mis en péril. Les requérants perdent ainsi leur abri et les biens les meublant. Il conclut que l’arrêté préfectoral « porte une atteinte grave au droit de propriété », la voie de fait est constituée, le juge judiciaire est compétent.

Dans un second temps, après avoir rappelé les articles 834 et 835 du Code civil encadrant la procédure des référés, le juge s’appuyant sur les éléments précédents considère que l’urgence est caractérisée et ordonne au préfet de cesser toute opération dans l’attente de la décision du juge administratif.

CA de Saint Denis de la Réunion_chambre des référés_Ordonnance du 24 avril 2023_n° RG 23 00018