Condamnation de l’Etat pour son refus de prise en charge de familles étrangères au titre de l’hébergement d’urgence

C.A. Lyon, arrêt n°19LY02979 du 30 septembre 2021

Le département du Puy-de-Dôme agit en responsabilité contre l’Etat du fait de sa carence fautive dans l’hébergement d’une centaine de familles. Le département demande le remboursement des sommes engagées par lui entre 2012 et 2016, pour la prise en charge de l’hébergement de ces familles. Le juge de première instance ayant rejeté sa demande, celui-ci interjette appel du jugement auprès de la Cour d’appel.

Concernant la régularité du jugement, la Cour d’appel relève que le juge de première instance n’a pas répondu au moyen tiré de ce que la responsabilité de l’Etat est susceptible d’être engagée pour sa carence fautive dans l’exercice de ses pouvoirs de police des étrangers. Concernant la responsabilité de l’Etat, la Cour rappelle qu’en vertu des article L121-7 et L345-1 du CASF : « (…) sont en principe à la charge de l’Etat les mesures d’aide sociale relatives à l’hébergement des familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques ou de logement (…). », à l’exception des bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance désignés par l’article L222-5 dudit code. Néanmoins elle retient que : « (…) un département ne peut légalement refuser à une famille avec enfants l’octroi ou le maintien d’une aide entrant dans le champ de ses compétences, que la situation rendrait nécessaire, au seul motif qu’il incombe en principe à l’Etat d’assurer leur hébergement. ». La Cour ajoute que dans le cadre de son intervention supplétive en matière d’hébergement, le département ne peut décider d’augmenter les montants alloués à ces prestations[1]. Par conséquent la Cour estime que le préfet ne peut opposer au département que puisqu’il a décidé de cette prise en charge, il lui appartient d’en assumer la charge financière.

Par ailleurs, il retient que le préfet ne démontre pas que les familles ne remplissent pas les critères de l’article L345-1 précité, et que : « La circonstance soulignée par le préfet que la plupart de ces familles sont composées d’étrangers en situation irrégulière est sans incidence sur le constat qu’elles sont susceptibles de bénéficier de l’hébergement social d’urgence et, par suite, de l’intervention supplétive du département alors même qu’elles n’auraient pas vocation à se maintenir sur le territoire national. Le préfet ne saurait opposer ses propres modalités d’attribution des places d’hébergement social, notamment celle consistant à mettre fin au logement de familles d’étrangers définitivement déboutés de leur demande d’asile, pour soutenir que le département aurait volontairement accueilli ces familles à ses frais. Enfin, le préfet ne peut utilement faire valoir que, s’agissant de familles dont des membres ont été définitivement déboutés de l’asile, le département serait tenu de préciser l’existence de circonstances exceptionnelles pour justifier de leur prise en charge. ». Enfin, le préfet faisant valoir que sa carence n’est pas caractérisée du fait de l’augmentation des places d’hébergement entre 2012 et 2016, la Cour énonce que « Toutefois, il appartient au département d’établir l’existence, non d’une carence caractérisée des services de l’Etat mais seulement d’une carence avérée et prolongée, outre la réalité de son préjudice et le lien de causalité. ». Or, selon la Cour, le département démontre bien qu’il a dû prendre en charge des familles pendant de longues périodes en raison de la saturation permanente des dispositifs d’hébergement de l’Etat. Elle en conclut que la carence de l’Etat dans la prise en charge des familles est avérée et prolongée car sa durée est supérieure à un mois à compter de la demande de la famille ou de son éviction du dispositif d’hébergement d’urgence.

Concernant le préjudice, la Cour estime que le département en apporte la preuve par la production d’un tableau détaillant les coûts liés à la prise en charge des familles, en précisant toutefois que seuls les frais d’hébergement peuvent être remboursés par l’Etat, et non ceux liés à la nourriture. La Cour annule le jugement et condamne l’Etat au remboursement du préjudice du département s’élevant à 1 272 464 € ainsi qu’au paiement des intérêts au taux légal à compter de décembre 2017.


[1] Contrairement aux prestations relevant de l’aide sociale comme le permet l’article L121-3 du CASF

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