La portée du contrôle de proportionnalité limitée par la Cour de cassation

cour de cassation, civ.3ème, 4 juillet 2019 18-17.119_Publié_au_bulletin

Des personnes occupaient un terrain, propriété privée, à Montpellier. Saisie, la Cour d’appel ordonne leur expulsion, sans effectuer de contrôle de proportionnalité, considérant que toute occupation sans droit ni titre du bien d’autrui constitue un trouble manifestement illicite permettant au propriétaire d’obtenir, en référé, l’expulsion des occupants. Ces derniers se pourvoient en cassation en fondant leur pourvoi sur la violation de l’article 8 de la CEDH (droit à la vie privée et familiale et protection du domicile) et la nécessité pour le juge des référés de réaliser un contrôle de proportionnalité entre les droits fondamentaux invoqués devant lui et le droit de propriété avant de conclure au trouble manifestement illicite.

La cour de cassation retient que l’occupation sans droit ni titre constitue toujours un trouble manifestement illicite permettant au juge des référés de prononcer l’expulsion. Elle préjuge que lorsque le juge statue sur l’expulsion, le droit de propriété l’emporte toujours sur le droit au respect du domicile. Elle précise ainsi : « attendu que l’expulsion étant la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement, l’ingérence qui en résulte dans le droit au respect du domicile des occupants, protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété. ».

 Retenant le caractère absolu du droit de propriété, la cour de cassation en conclut que les juges ne sont pas tenus d’effectuer un contrôle de proportionnalité avant de prononcer l’expulsion. Le pourvoi est donc rejeté.

Si cet arrêt dispense le juge d’un contrôle de proportionnalité lorsqu’il statue sur l’expulsion, il reste tenu d’effectuer ce contrôle lorsqu’il est saisi d’une demande de délais des occupants.

Remarques :

En dispensant le juge des référés de réaliser un contrôle de proportionnalité, lorsqu’il statue sur l’expulsion, la Cour de cassation se détourne de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui dans son arrêt Winterstein du 17 octobre 2013 (req. N°27013/07) avait conclu à violation de l’article 8 de la Convention en cas d’absence de contrôle de proportionnalité.

De plus, faisant prévaloir, le droit de propriété, protégé par protocole n°1 à la CEDH, sur le droit au respect du domicile, protégé par l’article 8 de la CEDH, la Cour de cassation modifie la hiérarchie des normes.

 Cet arrêt pose également la question de la concordance de la jurisprudence de la cour de cassation à celle du Conseil constitutionnel selon laquelle l’article 544 du Code civil, relatif à la protection de la propriété privée, doit être concilié avec l’objectif à valeur constitutionnelle qu’est la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent (décision CC n°2011-169).